#4 — UX-Files : l’UX dans les jeux vidéo est-elle différente de l’UX “classique” ?

Margaux Membré
12 min readSep 2, 2021

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Selon un article publié sur BDM, il existe 2,7 milliards de joueurs de jeux vidéo à travers le monde entier. Et en tant que joueuse moi-même, je me suis posé différentes questions sur les jeux vidéo mêlés à l’UX.

Mon hypothèse de départ a été que l’UX dans les jeux vidéo est différente de l’UX “classique”. Je me suis aussi posé les questions suivantes :

  • Comment est-ce qu’on met en place une démarche UX dans l’univers du jeu vidéo ?
  • Comment devient-on UX Designer et/ou UX Strategist dans l’industrie du jeu vidéo ?

Pour répondre à ces différentes interrogations et voir si mon hypothèse est exacte, j’ai consulté différents médiums et effectué une analyse succincte que je vous détaille ci-dessous.

Commençons par la base…

World of Warcraft, un jeu sur lequel j’ai passé une dizaine d’années.

Qu’est-ce qu’un jeu vidéo ?

Il s’agit d’une expérience interactive passant par l’ouïe, le toucher (manette) et la vue et qui demande au joueur d’interagir. Ce dernier doit effectuer une série d’actions pour arriver à un but*.

Il y a beaucoup de types différents de jeux vidéo sur lesquels nous passerons succinctement. Tout ce que vous avez besoin de savoir, c’est que l’article est biaisé puisque je ne parlerai que des jeux que j’ai testé. Qui plus est, j’ai eu l’idée de cet article en rencontrant un problème d’utilisabilité sur Assassin’s Creed Valhalla.

À propos de l’utilisabilité… Et si nous parlions de ce qu’est l’UX ?

*Cette définition est uniquement de mon fait, il s’agit de ma manière à moi de voir les jeux vidéo mais je vous invite à vous rapprocher d’autres sources.

Menu d’Assassin’s Creed Valhalla. Quand j’ai utilisé tous mes blocs de sauvegarde, je ne pouvais plus sauvegarder… À moins d’écraser une ancienne. Mais ça, rien ne me l’indiquait !

Qu’est-ce que l’User eXperience ?

Célia Hodent, experte UX en jeux vidéo et en sciences cognitives, définit l’UX ainsi :

How target users perceive and interact with the software/game including how engaging the experience is, relative to the design intentions.

La mission de l’UX serait de faciliter l’interaction des utilisateurs avec l’interface, pour rendre l’expérience engageante en fonction des intentions de conception, établies lors de la définition du projet.

Nicole Lazzaro quant à elle définit son métier de la manière suivante :

I make video games more fun.*

*Je trouvais ça drôle de se résumer comme ça, c’est pour ça que j’ai voulu en parler ici.

Les deux femmes s’accordent néanmoins sur le fait qu’il est important de connaître la psychologie et les sciences cognitives pour rendre une interface engageante, et connaître les motivations des utilisateurs.

Mais alors, est-ce qu’il y a vraiment une différence entre User eXperience “classique” comme elle est réfléchie et codifiée pour les interfaces web et la User eXperience des jeux vidéo ?

Quelle différence y a-t-il entre l’UX classique et l’UX dans les jeux vidéo ?

Les jeux vidéo sont une expérience à part entière qui utilisent différents canaux : l’ouïe, la vue, le toucher (par les manettes), les émotions… Certes, l’UX classique utilise aussi les émotions avec le Design Émotionnel, mais elle implique moins les autres sens.

Toujours est-il qu’un joueur s’intéresse à un jeu vidéo pour y ressentir des émotions, quelles qu’elles soient. Sur le sondage que j’ai effectué sur LinkedIn (et qui est loin d’être complet), 47% des 152 personnes interrogées ressentent de l’excitation (à la date du 2 septembre à 16h13). D’autres m’ont également fait part en commentaire qu’ils souhaitaient s’évader, que les émotions ressenties étaient variées, que ça dépendait du type de jeu…

Je suis d’accord avec toutes ces remarques. Toujours est-il que l’on va jouer pour ressentir des choses. Ce n’est pas le cas d’une UX classique : on consulte un site internet pour trouver quelque chose. Dans le cadre des tests utilisateurs pour un jeu vidéo, il est d’autant plus intéressant d’analyser les micro-expressions des joueurs pour comprendre ce qu’ils ressentent et s’ils éprouvent du plaisir. Parce que c’est bien pour ça qu’on joue, non ? Tout est question d’émotions : celles que les joueurs ressentent, et celles qu’on veut (en tant que concepteur) faire ressentir.

Certains nous disent qu’il y a une différence notable et qu’il faut adapter les méthodes “classiques” pour les jeux vidéo voire en créer de nouvelles (Alistair Greo) quand d’autres expliquent que nous avons déjà tout ce qu’il nous faut sous la main (Célia Hodent).

Un UX Lab : source.

Mais comment on fait de l’UX pour les jeux vidéo ?

Tout d’abord, il faut bien faire la différence entre le hard fun et le easy fun. Le premier consiste majoritairement à avoir de la difficulté notamment lors des phases avec les boss, quand le second s’intéresse plus à la découverte et à l’exploration. Il s’agit d’une alternance de phases actives, et d’autres plus passives. Alistair Greo nous explique qu’on fait des boucles entre les deux types de fun pour équilibrer le jeu, comme dans World of Warcraft par exemple. Il y a des phases de monster bashing où on tue des adversaires, et d’autres où on explore le vaste monde offert par Blizzard.

Il faut également faire attention à la frustration souhaitée et celle induite par un système mal géré. Il faut apporter du challenge, sans que l’utilisateur soit bloqué trop longtemps et finisse frustré : le joueur doit avoir le sentiment d’évoluer. C’est pour cette raison qu’il faut tester au maximum (comme en UX classique, on ne le répétera jamais assez !). Qui plus est, n’oublions pas que les jeux vidéo mettent des années à être conçus, donc plus on teste vite et souvent, moins on perd d’argent et de temps… Des jeux comme Dark Souls sont une exception, puisqu’ils sont créés dans le but d’être difficiles (comme les die & retry).

Dans leur article sur les jeux et l’UX Design, Ubisoft écrit ceci :

Driven by an empathy and respect for player autonomy, we eliminate (unwanted) friction every step of the way and constantly iterate to elevate quality and refine our games.

Dans un autre article d’Ubisoft, on nous indique que l’interface ne doit pas prendre trop de place pour que le joueur ait plus d’immersion. Il y a un gros travail d’UX pour déterminer quels sont les éléments les plus importants à faire apparaître pour que les utilisateurs puissent rapidement prendre les bonnes décisions… Un peu comme un menu sur un site internet.

Cet article est une mine d’informations que je vous conseille de lire ! Je vous en mets quelques extraits qui m’ont paru particulièrement pertinents.

[We have to] make sure all relevant information is accessible, conclusive, and understandable to our players. We have to think about presenting the right amount information at the right time so we don’t overwhelm the user, and support their decision-making process.

Il convient donc de réduire au maximum la HUD (l’interface) pour permettre l’immersion, tout en mettant en avant les informations les plus utiles et pertinentes en avant. Le joueur doit savoir comment il peut faire ce qu’il veut, ce qu’il est en train de faire et ce qu’il a fait.

En matière de HUD, Subnautica permet une bonne immersion grâce au masque de plongée.

While every individual is different, one of the main responsibilities of UX is to get to know our players as well as possible, for several reasons. […] we want to create a game that appeals to the right audience, as it is never possible to create something that will work for everybody.

In general, I think it’s best to avoid the idea of creating a game that will meet the expectations of “all players” and rather focusing on the “right players” for the “right game.” However, there are some universal approaches to make products, systems, and games more accessible for users.

Alors au fond, est-ce que faire de l’UX pour les jeux vidéo est si différente que de faire de l’UX “classique” ? Une grande partie de ce que j’ai lu dans cet article tendaient à dire les mêmes choses que l’on m’a apprises. L’UX ne serait-elle par universelle ?

Mais qu’est-ce qu’il faut pour devenir un UX(/UI) Game Designer ?

Pour reprendre les mots de l’article d’Ubisoft dont je vous parlais juste au-dessus :

Having knowledge about human factors and cognitive ergonomics helps a lot, because those disciplines deal with a general understanding and utilizing of cognitive or physical limitations and capabilities of the user, such a working memory, attention, perceptual habits or processing information in general. Apart from that, the usage of design heuristics is a useful tool as well. Next, would be the accessibility, designing for visual impairment and color weaknesses would be relevant. But it also might be focusing on standards and consistency of control mappings; expected usage of controllers, buttons, and keys, or with touchscreen devices; identifying areas of good accessibility that are within the reach of our fingers in a most natural way, but do not obstruct the playing experience as such. […] I believe that HCI, and therefore UX as a scientific discipline, has to be based on research, testing, and qualitative and quantitative studies and findings […]And in my experience, the more research and results you can bring to a discussion, the more people are willing to listen to you and accept suggestions. So in many cases, and especially in the field of UX, science is your best friend.

Ce sont des propos très en accord avec ce que nous dit Célia Hodent. La psychologie et la compréhension du comportement humain sont des atouts indéniables pour faire de l’UX, tout comme les principes d’IHM (interfaces homme-machine) et l’ergonomie cognitive, que ce soit dans les jeux vidéo ou non. Célia nous parle aussi du fait de s’entraîner à refaire les HUD (interfaces) des jeux vidéo que nous aimons et dans lesquels nous décelons des problèmes pour les UX Designers.

Et j’aimerais mettre un point d’attention sur une pathologie dont quelqu’un m’a parlé sur LinkedIn : la dyspraxie. Il s’agit d’un trouble cognitif qui touche 5 à 7% des enfants entre 5 et 11 ans, et qui consiste en une difficulté à effectuer des gestes précis qui seraient issus d’un apprentissage.

Malheureusement pour les dyspraxiques, une grande partie des jeux vidéo passent par une mémorisation d’actions. Ces gestes sont souvent des gestes fins et précis ce qui rend la chose encore plus compliquée à réaliser. De plus, il est généralement très complexe d’adapter les jeux à cette pathologie. Prenons par exemple les jeux de combats. Ils contiennent de nombreux combos se ressemblant et nécessitant des combinaisons précises. Ce genre de jeu est littéralement un cauchemar pour les personnes atteintes de dyspraxie.

C’est l’une des nombreuses raisons qui font qu’en tant qu’UX Designers, nous devons faire attention à l’inclusion et écarter au maximum les points de friction qui pourraient être évités. Comme nous le disions plus haut, tout dépend de la cible visée ; néanmoins, des efforts peuvent être fait pour permettre au plus grand nombre de jouer.

Capture du menu d’accessibilité du jeu Last of Us 2.

En vrac…

Mon article est déjà très long, et il y a encore beaucoup de points que j’aurais aimé aborder. J’ai donc décidé de les lister à la suite :

  • La perception est subjective, c’est pourquoi les couleurs ne doivent pas être la seule source d’informations. On peut utiliser les Lois de la Gestalt pour améliorer les perceptions.
  • Le pouvoir de la Communauté en terme marketing peut être très intéressant, comme avec Fortnite qui compte énormément de joueurs dans le monde ou encore League of Legends et Blizzard avec leurs événements.
  • Il faut passer du temps pour développer un bon onboarding : en expliquant clairement au joueur comment maîtriser l’interface, on maximise son engagement. Et l’onboarding doit être découpé en plusieurs parties pour que chaque partie soit focalisée sur une unique tâche et éviter l’unintentional blindness. L’Homme n’est pas très doué pour faire plusieurs choses en même temps.
  • Il faut éviter d’avoir une surcharge cognitive et il faut attirer l’attention sur les éléments qu’on veut montrer. Le cerveau est limité.
Mirror’s Edge guide ses joueurs sur les toits grâce aux éléments rouges.
  • Il faut faire attention à la fausse affordance : quand un élément du décor semble pouvoir être utilisé pour réaliser une tâche. La forme suit la fonction.
  • L’UX Designer/Strategist doit répondre à : “pourquoi les utilisateurs vont-ils s’intéresser à ce que je leur propose ?”. La motivation est le coeur du sujet dans les jeux vidéo.
  • Il faut tester un maximum, et quand on comprend qu’il y a un problème, il faut comprendre le pourquoi. D’autant plus si le comportement attendu est crucial dans l’avancée dans le jeu : le joueur ne doit pas être bloqué indéfiniment.
  • L’UX doit être la préoccupation de toute l’équipe. Il est possible de faire des ateliers pour sensibiliser les collaborateurs à l’expérience utilisateur. Je vous invite à lire le très bon livre l’UX Design en pratique si le sujet vous intéresse !
  • Célia Hodent explique que les jeux vidéo, à l’instar du cinéma, sont un média de “magiciens” : on peut augmenter la zone de collision de manière invisible pour que l’utilisateur puisse avoir un laps de temps un peu plus élevé pour effectuer une action. Il faut donner une certaine impression à l’utilisateur : on a souvent l’impression que le monde s’étend à perte de vue… Mais il ne s’étend que jusqu’à un certain point.
  • Pour analyser l’utilisabilité d’un jeu vidéo, Célia Hodent parle des heuristiques qu’elle décrit dans son livre Dans le cerveau du gamer. Puisque je ne l’ai pas (encore), je ne peux pas vous en parler. Je vous invite à creuser si ça vous intéresse. En tout cas, elle teste elle-même le jeu, note ce qu’elle a compris et ce qu’elle estime pouvoir faire et en parle avec l’équipe de développement. L’idée est de voir le décalage entre l’expérience de jeu et les intentions initiales.
  • Les joueurs deviennent de plus en plus acteurs de leur divertissement. Il y a également le multi-plateforming qui se développe, où on peut passer facilement du téléphone, à l’ordinateur, à la console. Les jeux ne sont plus que des jeux, ils deviennent aussi un espace où on peut être ensemble (Fortnite et les concerts par exemple).
  • “À partir du moment où on ne joue plus, on commence à mourir”, parce que le cerveau ne fait plus face à de nouvelles situations dans lesquelles il doit innover. Les jeux vidéo peuvent aussi jouer sur les compétences et en développer certaines. Néanmoins, Célia Hodent nuance avec le fait qu’il ne faut ni jouer toute la journée, ni jouer trop longtemps au même jeu.
  • Pour la petite anecdote, je suis tombée dans les jeux vidéo et dans World of Warcraft quand j’avais 11 ans. Je n’étais pas bonne en français et je faisais énormément de fautes. Je me suis retrouvé mise à l’écart parce que personne ne comprenait ce que je racontais, et ça m’a poussé à faire un effort pour m’améliorer en orthographe.

La phrase de fin

Je vous remercie sincèrement pour votre lecture, et espère que mon article aura su vous éclairer un peu sur le monde de l’UX mêlé aux jeux vidéo. Vous pouvez retrouver mes publications sur mon LinkedIn mais également mes autres UX-Files sur Medium. Je m’intéresse à beaucoup de sujets qui touchent à l’UX comme à l’UI, et je n’ai pas fini d’écrire des articles sur le sujet… Alors je vous dit à bientôt ! 😉

Sources :

Marie Glandus m’a parlé d’une vidéo de Jakob Nielsen qui parle du sujet :

Quant à Manon Dumur, elle m’a relayé une vidéo qui traite également du sujet de l’UX et de l’accessibilité dans le cadre de Super Mario Odyssey :

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Margaux Membré

I'm a UX/UI Designer who loves discovering news things and sharing them. ✨ And I love lamas ! 🦙